Injection de prompt dans les navigateurs AI : une menace fondamentale pour la sécurité des données
Aurélien Fontevive
L’injection de prompt : une menace fondamentale pour les navigateurs AI
En novembre 2025, une nouvelle méthode d’attaque appelée « CometJacking » a mis en lumière une vulnérabilité critique dans les navigateurs AI modernes. Cette attaque exploite les paramètres d’URL pour injecter des instructions malveillantes directement dans le navigateur AI Comet de Perplexity, permettant aux attaquants d’accéder à des données sensibles des services connectés sans aucune interaction de l’utilisateur. Selon les chercheurs de LayerX, cette attaque représente un danger significatif pour la sécurité des données personnelles et professionnelles dans l’ère de l’intelligence artificielle.
L’injection de prompt n’est pas simplement un problème de sécurité mineur à gérer, mais une propriété fondamentale de la technologie des grands modèles linguistiques (LLM) actuelle. Ces systèmes n’ont aucune capacité à séparer les commandes de confiance des données non fiables, ce qui ouvre la porte à une infinité d’attaques par injection de prompt sans moyen de les bloquer comme une classe. Nous avons besoin d’une nouvelle science fondamentale des LLM avant de pouvoir résoudre ce problème.
Comment fonctionne l’attaque CometJacking en détail
L’attaque CometJacking est un exemple concret et préoccupant de ce que l’injection de prompt peut accomplir dans le contexte des navigateurs AI. Dans cette attaque spécifique, l’acteur malveillant exploite le paramètre « collection » de l’URL pour insérer des instructions cachées dans le navigateur Comet AI. Ces instructions sont ensuite interprétées par l’IA comme des commandes légitimes.
Le processus se déroule en plusieurs étapes :
- L’attaquant crée une URL malveillante contenant des instructions dissimulées dans le paramètre « collection »
- Cette URL est envoyée à une cible via des canaux de confiance (e-mail, message, etc.)
- Lorsque la cible ouvre l’URL dans le navigateur Comet AI, le système traite les paramètres comme faisant partie de la requête
- L’IA interprète ces instructions comme des commandes légitimes et exécute les actions demandées
- Les données sensibles sont récupérées des services connectés et exfiltrées vers un serveur contrôlé par l’attaquant
Dans les tests menés par les chercheurs, les services connectés accessibles incluaient les invitations Google Calendar et les messages Gmail. Le prompt malveillant incluait des instructions pour encoder les données sensibles en base64 avant de les exfiltrer vers un point de terminaison externe. Le navigateur Comet a suivi ces instructions et a livré les informations à un système externe contrôlé par l’attaquant, contournant ainsi les vérifications de sécurité de Perplexity.
Les techniques d’injection de prompt
L’injection de prompt peut prendre plusieurs formes, mais toutes reposent sur le même principe : tromper le modèle linguistique pour qu’il exécute des instructions qu’il ne devrait pas. Voici les principales techniques observées dans les navigateurs AI :
- Injection directe : L’attaquant injecte directement des instructions dans le champ de saisie utilisateur
- Injection indirecte : L’attaquant place des instructions dans un contenu externe (URL, document, page web)
- Injection contextuelle : L’attaquant modifie le contexte dans lequel l’IA interprète la requête
- Injection par paramètres : L’attaquant utilise les paramètres de l’application (comme dans CometJacking) pour insérer des commandes
Chacune de ces techniques exploite la même faille fondamentale : l’incapacité des LLM actuels à distinguer les instructions fournies par le développeur des données fournies par l’utilisateur.
Les implications de sécurité pour les utilisateurs et les entreprises
Les implications de l’injection de prompt dans les navigateurs AI sont profondes et touchent à la fois les utilisateurs individuels et les organisations. Ces navigateurs, conçus pour améliorer la productivité en connectant l’IA à divers services en ligne, deviennent en réalité des vecteurs de fuite de données majeurs.
Risques pour les utilisateurs individuels
Pour les utilisateurs, les conséquences peuvent être désastreuses sur le plan personnel :
- Violation de la vie privée : Accès non autorisé aux e-mails, messages personnels, calendriers et autres données sensibles
- Vol d’identité : Utilisation des informations personnelles pour usurper l’identité de la victime
- Arnaques et escroqueries : Utilisation des comptes et contacts pour mener des campagnes d’hameçonnage
- Chantage : Exposition d’informations privées ou compromettantes
Dans le cas spécifique de CometJacking, un utilisateur pourrait voir ses e-mails Gmail et ses rendez-vous Google Calendar volés simplement en cliquant sur un lien apparemment inoffensif. Sans même avoir à saisir des identifiants ou à interagir davantage, l’attaquant accède à une mine d’informations personnelles et professionnelles.
Conséquences pour les entreprises
Pour les organisations, les risques sont encore plus importants :
- Fuite de données confidentielles : Vol d’informations commerciales stratégiques, de données clients ou de propriété intellectuelle
- Violation de la conformité : Non-respect du RGPD et d’autres réglementations sur la protection des données
- Perte de confiance : Dommage irréparable à la réputation et à la confiance des clients et partenaires
- Responsabilité légale : Possibilité de poursuites judiciaires et de sanctions financières
Selon une étude menée en 2025 par l’ANSSI, 76% des entreprises françaises utilisent déjà des outils d’IA dans leurs opérations quotidiennes, mais seulement 23% ont mis en place des protocoles de sécurité spécifiques pour les menaces liées à l’injection de prompt. Ce décalage crée un risque systémique important pour la sécurité des données dans le paysage numérique français.
Tableau comparatif des menaces dans les navigateurs AI
| Type de menace | Vecteur d’attaque | Niveau de difficulté | Impact potentiel | Mesures de protection existantes |
|---|---|---|---|---|
| Injection de prompt directe | Champ de saisie utilisateur | Faible | Élevé | Filtrage des entrées, sandboxing |
| Injection de prompt indirecte | Contenu externe (URL, document) | Moyen | Très élevé | Validation des entrées, sandboxing renforcé |
| Injection de prompt contextuelle | Modification du contexte | Élevé | Moyen | Isolation des contextes, analyse sémantique |
| Injection par paramètres | Paramètres d’application | Moyen | Très élevé | Validation stricte des paramètres, analyse approfondie |
Mesures de protection et meilleures pratiques
Face à cette menace fondamentale, plusieurs mesures de protection peuvent être mises en place, bien qu’aucune ne soit totalement efficace à l’heure actuelle. Voici les meilleures pratiques pour les utilisateurs et les développeurs :
Pour les utilisateurs
> La protection contre l’injection de prompt commence par une vigilance accrue dans l’utilisation des navigateurs AI et des services connectés. Voici les recommandations essentielles :
- Vérifiez systématiquement les URLs avant de cliquer, en particulier dans les e-mails et messages suspects
- Évitez de naviguer sur des sites non sécurisés (sans HTTPS) lorsque vous utilisez des navigateurs AI
- Désactivez les connexions automatiques aux services sensibles lorsque vous n’utilisez pas activement votre navigateur AI
- Surveillez les activités inhabituelles sur vos comptes connectés
- Utilisez des solutions de sécurité spécialisées capables de détecter les tentatives d’injection de prompt
En pratique, de nombreux utilisateurs ont déjà commencé à limiter l’utilisation des navigateurs AI pour les tâches sensibles. Comme le mentionne un utilisateur commentant l’article de Bruce Schneier : « J’avais installé le navigateur Comet pour voir ce qui en faisait toute la publicité. Je n’ai pas trouvé d’utilité pour celui-ci. Après avoir lu comment l’architecture des navigateurs AI est fondamentalement non sécurisable, je l’ai désinstallé la semaine dernière. »
Pour les développeurs et entreprises
Les développeurs de navigateurs AI et d’applications basées sur les LLM doivent adopter une approche proactive pour atténuer les risques d’injection de prompt :
- Implémentez une validation stricte de toutes les entrées utilisateur, y compris les paramètres d’URL
- Utilisez des techniques de sandboxing pour isoler les exécutions de code potentiellement dangereux
- Développez des systèmes de détection pour identifier les tentatives d’injection de prompt
- Mettez en place des limites strictes sur les actions que l’IA peut effectuer sans confirmation explicite de l’utilisateur
- Adoptez le principe du moindre privilège pour les connexions aux services externes
En outre, selon l’ANSSI, les entreprises devraient classifier les données en fonction de leur sensibilité et appliquer des contrôles d’accès granulaires pour limiser la portée potentielle d’une attaque réussie.
L’avenir de la sécurité dans les navigateurs AI et au-delà
L’injection de prompt représente un défi fondamental pour l’avenir de la sécurité dans les environnements AI. Comme le souligne Bruce Schneier, « nous avons besoin d’une nouvelle science fondamentale des LLM avant de pouvoir résoudre ce problème. » Cette reconnaissance du caractère systémique de la menace est essentielle pour orienter la recherche et le développement dans les bonnes directions.
Pistes de recherche et développement
Plusieurs voies de recherche prometteuses émergent pour aborder ce problème complexe :
- Architecture de sécurité nouvelle génération : Développement de modèles capables de distinguer intrinsèquement les commandes des données
- Mécanismes de preuve d’exécution : Systèmes permettant de vérifier que le modèle n’exécute pas d’injections non autorisées
- Surveillance comportementale avancée : Détection des activités anormales ou non conformes aux attentes
- Défense en profondeur : Emploi de multiples couches de sécurité pour atténuer les risques
Le chercheur en sécurité Yonatan Zunger a proposé une approche intéressante : « La solution ne réside pas seulement dans la défense, mais dans la refonte fondamentale de la manière dont nous construisons et interagissons avec ces systèmes. Nous devons concevoir des architectures où les données et les commandes sont intrinsèquement séparées, pas simplement séparées par des garde-fous externes. »
Implications réglementaires et normatives
Face à la gravité de ces menaces, les régulateurs commencent à prendre conscience des enjeux et à envisager des cadres réglementaires adaptés. En Europe, le RGPD pourrait être étendu pour couvrir spécifiquement les risques liés à l’IA, tandis qu’en France, l’ANSSI travaille à l’élaboration de recommandations spécifiques pour les systèmes basés sur les LLM.
À l’échelle internationale, des organismes comme l’ISO travaillent à l’élaboration de normes pour la sécurité des systèmes d’IA, avec des spécifications potentielles pour la gestion des risques d’injection de prompt. Ces efforts réglementaires et normatifs sont essentiels pour garantir que les développeurs et les entreprises prennent au sérieux ces vulnérabilités.
Conclusion : vers une approche holistique de la sécurité AI
L’injection de prompt dans les navigateurs AI représente plus qu’une simple faille de sécurité ; elle met en lumière un défi fondamental de notre dépendance croissante aux systèmes d’intelligence artificielle. L’attaque CometJacking illustre de manière concrète comment des vulnérabilités dans ces systèmes peuvent compromettre des données sensibles avec une facilité déconcertante.
Face à cette menace, une approche holistique est nécessaire, combinant vigilance des utilisateurs, innovation technologique et cadre réglementaire adapté. Les navigateurs AI, avec leur capacité à connecter automatiquement divers services en ligne, offrent des avantages indéniables en termes de productivité et d’expérience utilisateur. Cependant, leur adoption généralisée ne peut se faire au prix de compromis sur la sécurité des données.
À l’heure où nous nous dirigeons vers un avenir de plus en plus interconnecté et intelligent, la protection contre l’injection de prompt et autres menaces similaires devient non seulement une question de sécurité, mais une condition indispensable à la confiance dans la technologie. Comme le conclut Bruce Schneier, la solution réside dans une nouvelle science fondamentale des LLM – une science qui reconnaît et aborde directement les limites inhérentes de la technologie actuelle.
Pour les utilisateurs et les organisations françaises, le message est clair : restez informés des dernières menaces, adoptez les meilleures pratiques de sécurité et soutenez les initiatives visant à renforcer la résilience des systèmes d’IA face aux attaques par injection de prompt. La sécurité des données dans l’ère de l’intelligence artificielle dépendra de notre capacité collective à relever ce défi fondamental.